En France, comme dans d’autres pays, les jardins historiques ont fait l’objet d’une redécouverte progressive dans les années 1970, par des historiens de l’art, architectes, paysagistes, propriétaires, que ce soit au sein d’associations ou bien dans les services de l’État et des collectivités territoriales. Rédigée par ces professionnels essentiellement européens qui ont constitué le jardin historique comme un domaine d’étude, la charte de Florence contient un article relatif à la formation, constatant, en creux, la rareté des professionnels “qualifiés”. L’article 24 mentionne ainsi la nécessité d’une « pédagogie appropriée [pour assurer] la formation de ces personnes, qu’il s’agisse des historiens, des architectes, des paysagistes, des jardiniers, des botanistes », et l’article 25 insiste sur la nécessité de la recherche scientifique pour valoriser le jardin historique.
Le parcours de Master 2 Jardins historiques, patrimoine, paysage, portée par l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles, est la forme actuelle d’une formation initiée dès 1992 qui veut aborder les enjeux complexes et interdépendants auxquels fait face le patrimoine vivant des jardins : recomposition territoriale, identité locale, médiation sociale, espace public, représentations culturelles et artistiques, environnement et changement climatique… Il a pour objet de faire comprendre l’articulation des problématiques toujours renouvelées pour rendre possibles l’action et la création dans un contexte historique, malgré leur complexité.
Cette formation soutenue par la Direction des patrimoines du ministère de la Culture accueille des étudiants et professionnels aux parcours divers pour se pencher sur les espaces paysagers anciens. Que ce soient des parcs privés ou publics, des territoires qui ont fait l’objet d’aménagements anciens parfois disparus ou de projets récents, il s’agit de comprendre les dynamiques d’évolution, d’appréhender le jardin à l’échelle du grand paysage ou des scènes plus réduites et de déterminer les éléments à maintenir ou à retrouver, les adaptations possibles ou souhaitables. La pédagogie se construit en croisant les aspects historiques, théoriques et la compréhension du vivant. Chemin faisant se construit une méthodologie pour l’intervention, que l’on soit destiné à protéger, à valoriser, à projeter, à analyser les jardins ou bien tout cela à la fois lorsque l’on est un propriétaire-gestionnaire.
Une des spécialités de la formation est le diagnostic historique et paysager, sous forme d’études opérationnelles réunissant des étudiants à la demande d’un gestionnaire ; elles considèrent à la fois les problématiques d’intervention et celles de gestion quotidienne, comme y invite l’article 10 de la Charte. L’étude opérationnelle répond à une commande de diagnostic et de préconisations d’aménagement, formulée par un acteur de l’aménagement et de l’urbanisme ou un propriétaire privé, sur un jardin ou une situation territoriale (parc urbain, PNR, secteur d’agglomération, etc.). Elle est menée au sein d’une équipe pluridisciplinaire d’étudiants et encadrée par un à deux enseignants et s’appuie sur les forces en présence, acteurs territoriaux (commanditaires) ou experts associés dans un comité de pilotage.
Émanant d’étudiants encore en formation, et mobilisant leurs différentes disciplines d’origine, l’étude opérationnelle s’arrête avant la formulation d’un projet –elle propose néanmoins des orientations qui aident à la formulation d’une commande ensuite adressée à un concepteur.
Ces études opérationnelles diffèrent des monographies historiques en ce qu’elles répondent à une demande plus ou moins précise et urgente des gestionnaires. Ceux-ci ont identifié un besoin, un problème, ou sont sensibles aux enjeux particuliers du patrimoine vivant, différents notamment dans leur temporalité de ceux du bâti. Il s’agit souvent de révéler et de retracer la dynamique des choses infimes ou invisibles qui font la valeur particulière du jardin : hydraulique, gestion des lisières, compréhension des cheminements, maintien des vues, façon d’entretenir le jardin au quotidien, etc.
Le contexte territorial est un aspect essentiel de ces études : les sites sont étudiés à l’échelle de leur territoire, au vu de leur inscription urbaine, avec les menaces et les opportunités qui en façonnent les usages. La longue durée d’une année complète permet d’arpenter à loisir les archives mais surtout le site, le faisant parler telle une archive. L’analyse paysagère, confrontant sans cesse l’histoire et l’état actuel, les usages passés et présents, donne un état des lieux fidèle tenant compte des dynamiques spatiales et sociales parfois disparues.
Enfin, l’étude opérationnelle est l’occasion de faire se rencontrer les points de vue : promeneurs réguliers ou occasionnels, propriétaires, gestionnaires, jardiniers ont souvent des vues contradictoires et parfois des expériences divergentes, se rejoignant néanmoins pour trouver à l’espace étudié une valeur d’avenir. Les échanges réguliers avec les étudiants, informels lors des visites de terrain, ou formels lors des réunions prévues à intervalle régulier, permettent d’enrichir la perception de ce que représente l’espace en question et de ses potentialités. L’étude opérationnelle est donc un outil exigeant aussi bien pour l’équipe étudiante et pédagogique que pour le commanditaire de l’étude : elle invite à renouveler le regard sur l’espace et son histoire, pour permettre des interventions de restauration, de revivifier sa gestion à court et moyen terme et d’améliorer la valorisation du jardin.
Dresser un bilan des études effectuées depuis trente ans permet de témoigner d’une meilleure connaissance générale de ce patrimoine, puisque propriétaires privés, collectivités territoriales sont des interlocuteurs de plus en plus avertis et partie prenante de ces études qui sont parfois suggérées par les DRAC ou DREAL ou encore les SDAP. On note aussi la part toujours plus importante des problématiques environnementales qui rend parfois plus nécessaire encore de créer un regard commun sur le jardin étudié. La cinquantaine d’études menées, qui s’ajoute aux près de deux cents jardins étudiés dans des mémoires menés par d’autres étudiants de manière plus autonome, a permis de constituer un corpus qui vient à son tour éclairer les études futures.
La charte de Florence est le cadre de cet enseignement, avec le nécessaire effort de mise en perspective critique de ses forces et de ses silences. La variété des commandes menées permet, dans un esprit de pluridisciplinarité des acteurs et des chercheurs, de continuer à contribuer à sa mise en œuvre sur des lieux et des situations territoriales qui requièrent tout à la fois et de manière combinée, protection, conservation, mise en valeur, restructuration et réinvention.